Signes religieux : résurrection de la loi de 1905 dans la commune de Saint-Pierre-d’Alvey

Le TA de Grenoble, qui visiblement avait été touché par l’Esprit Saint en considérant qu’une parcelle nue pouvait donner lieu à l’apposition de signes religieux du fait d’un prétendu usage religieux de cette même parcelle avant 1905, voit son jugement annulé par la CAA de Lyon aux termes d’une interprétation stricte – et non divine – de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

I – La bonne compréhension de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, véritable chemin de croix

La multiplication et la diversification des cas dans lesquels l’article 28 de la loi de séparation des Églises et de l’État peut s’appliquer ne facilite pas sa bonne compréhension qui relève presque d’un chemin de croix…

Alors qu’en est-il ?

D’abord, l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 dispose que :

« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

Ainsi, s’il est interdit d’élever ou d’apposer un signe religieux sur tout emplacement public, tel n’est en revanche pas le cas pour les édifices du culte, les terrains de sépulture dans les cimetières etc.

Sur le fondement de cet article, le juge administratif a notamment annulé la décision d’un maire qui refusait de déplacer une statue de la Vierge Marie en dehors du domaine public communal (TA Grenoble, 29 janvier 2015, commune de Publier, req. n°1200005) :

 » Considérant que la statue de la Vierge portant l’inscription « Notre Dame du Léman veille sur tes enfants », constitue un emblème religieux ; qu’il est constant que le terrain sur lequel elle a été édifiée est un parc public ; que, dès lors, en application des dispositions précitées de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, la commune ne pouvait légalement autoriser l’installation de cette statue sur le domaine public communal ; »

Oui mais voilà, au titre des exceptions à l’interdiction d’installer un signe religieux dans l’espace public figure la possibilité d’installer un signe religieux sur les édifices du culte, étant précisé que le juge administratif a étendu cette exception aux dépendances d’un édifice de culte (CE, 22 juin 1934, Sieurs Badoual, req. n°32445, Rec. 722).

Tel est notamment le cas d’un terrain contigu à l’église qui « a été clos […] et a été utilisé pour la construction d’une chapelle en 1873 et d’un clocher en 1898 » (CE, 20 novembre 1936, Abbé Rivière et autres, req. n°50818, Rec. 1009).

On le voit bien, l’appréciation de l’article 28 de la loi de 1905 par le juge est extrêmement difficile à appréhender et il semble que le TA de Grenoble en ait profité pour rendre un jugement relevant d’un petit miracle juridique.

II – Le Mont Châtel, terre promise de Saint Pierre d’Alvey selon le TA de Grenoble

Pour rappel, au cours de l’automne 2014, une statue de la Vierge Marie d’une hauteur de 3,45 mètres a été érigée par des particuliers sur une parcelle cadastrée du lieu-dit de Mont Châtel appartenant à la commune de Saint-Pierre-d’Alvey.

Cette statue a été placée à sept mètres d’une grande croix sommitale présente sur les lieux depuis le 18ème siècle et qui donne lieu à des processions entre celle-ci et l’église de la commune le jour de la Pentecôte.

Après avoir été saisi par plusieurs habitants de la commune, le maire a rejeté leur demande tendant à ce que la statue de la Vierge soit retirée du domaine public en considérant – selon les débats d’une séance du conseil municipal – que la présence d’une croix sommitale sur la parcelle sur laquelle avait été installée la statue en faisait une dépendance de l’église de la commune et donc d’un édifice de culte.

Qu’à cela ne tienne, les requérants ont décidé de saisir le TA de Grenoble en demandant l’annulation de cette décision au regard de la méconnaissance de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

Qu’a dit le TA ?

Le Tribunal administratif de Grenoble a jugé que si cette statue constitue un emblème religieux, la parcelle communale supportant cet ouvrage comportait déjà une croix vers laquelle, depuis au moins le 18ème siècle, des processions cheminent traditionnellement à la Pentecôte depuis l’église de la commune, située à une distance de deux kilomètres à vol d’oiseau…

Ainsi, il a considéré que la parcelle devait être qualifiée comme une dépendance de l’église de la commune et qu’il était donc possible d’y ériger une statue de la Vierge Marie sans méconnaitre les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.

Pour ce faire, le TA s’est appuyé sur la célèbre jurisprudence Laplanche-Coudert dans laquelle le Conseil d’État a considéré qu’il était possible d’ériger un signe ou un emblème religieux sur une dépendance d’un édifice de culte si (CE, 1er avril 1938, Sieurs Laplanche-Coudert et autres, req. n°53490, Rec. 339) ;

  1. le bien est affecté à un usage en rapport étroit et direct avec le bâtiment principal ;
  2. le bien est nécessaire à l’exercice du culte.
  3.  

Or, si dans le cas d’espèce de la jurisprudence Laplanche-Coudert, l’édifice litigieux avait été érigé avant 1905, tel n’était en revanche pas le cas de la statue de la Vierge Marie installée dans la commune de Saint Pierre d’Alvey en 2014.

Voir le jugement

III – Exode des requérants vers la CAA de Lyon et résurrection de la loi de 1905

Il est évident que les requérants ne pouvaient se contenter du jugement du TA de Grenoble, tant il semblait s’écarter du régime de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, aussi compliqué soit-il…

Les requérants ont donc entamé un exode vers la CAA de Lyon en soutenant que la statue litigieuse méconnaissait les dispositions de l’article 28 de la loi de 1905 et que la parcelle sur laquelle elle se trouvait ne pouvait revêtir la qualification de dépendance d’un édifice de culte.

En effet, difficile de croire que la parcelle remplissait les deux critères posés par la jurisprudence Sieurs Laplanche-Coudert et autres dans la mesure où :

  1. d’une part, ce terrain n’est pas affecté à un usage en rapport étroit et direct avec l’église ou avec la croix. En effet, le terrain est situé à une distance de deux kilomètres à vol d’oiseau et à environ trois kilomètres selon le parcours recommandé depuis l’église communale. En outre, le seul fait que la croix soit le point d’arrivée d’une procession ayant lieu uniquement le jour de la Pentecôte, semblait insuffisant à caractériser un lien étroit avec l’église communale ;
  2. d’autre part et surtout, car ce terrain n’est pas nécessaire à l’exercice du culte. En effet, si le Mont Châtel venait à disparaitre par une intervention divine, cela n’empêcherait nullement l’église de la commune de continuer à réaliser son office

Ainsi, ni la croix sommitale ni, à plus forte raison, la parcelle sur laquelle elle repose, ne pouvaient être regardés comme une dépendance de l’église communale.

Lors de l’audience – fixée le 1er avril 2021, jour du 83ème anniversaire de la jurisprudence Sieurs Laplanche-Coudert – le rapporteur public n’a pas manqué de rappeler l’esprit de la loi du 9 décembre 1905 et, plus précisément, de son article 28, afin de conclure non seulement à l’annulation du jugement du TA de Grenoble mais également à l’annulation de la décision du maire de Saint Pierre d’Alvey.

Dans son arrêt du 29 avril 2021, la CAA de Lyon a jugé que :

« Cette statue présente un indéniable caractère religieux. Par suite, son installation sur un emplacement public autre que ceux limitativement prévus par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précité méconnaît ces dispositions, sans que la commune soit fondée à se prévaloir de ce que, depuis le XVIII ème siècle, des processions partant de l’église convergent traditionnellement à l’occasion des cérémonies de la Pentecôte vers une ancienne croix romaine implantée sur cette même parcelle section OA n° 2 qui ne saurait être considérée pour cette unique raison comme l’a jugé à tort le tribunal, comme constitutive d’une dépendance indissociable et affectée de ce fait au culte de l’église de Saint-Pierre-d’Alvey, distante de cet espace naturel de deux kilomètres environ ».

Ainsi, l’installation de la statue sur le domaine public n’entre pas dans les exceptions prévues par l’article 28 ; la décision du maire et le jugement du TA de Grenoble ont donc été logiquement annulés.

Par cet arrêt, la CAA de Lyon a donc ressuscité l’application de la loi de 1905 dans la commune de Saint Pierre d’Alvey.

Attention toutefois, toute implantation d’un édifice religieux sur le domaine public n’est pas, par nature, contraire aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905.

Sans être exhaustif et sous réserve des règles propres à l’Alsace et à la Moselle, il est notamment nécessaire de distinguer selon que l’édifice :

  • représente ou non un emblème strictement religieux
  • ait été érigé avant ou après 1905
  •  

Ainsi, le régime juridique étant particulièrement complexe, il est évident que son application reste casuistique et dépend donc des faits de chaque espèce.